Les Pères de la Confédération sont communément perçus comme de simples opérateurs politiques ; ni instruits ni philosophes. On nous conseille souvent de ne pas chercher dans leurs paroles une défense des principes du régime parlementaire ou du fédéralisme, et encore moins une argumentation voulant que l’héritage constitutionnel britannique soit l’instrument idéal pour préserver nos libertés individuelles. On ne nous encourage certainement pas à trouver dans leurs discours des solutions à nos difficultés présentes comme le font si bien nos voisins américains en se référant pieusement aux Federalist Papers. Cette croyance populaire concernant nos Pères fondateurs canadiens et le système politique qu’ils ont créé est on ne peut plus fausse.
En fait les trente-trois hommes qui ont rédigé la Constitution canadienne lors de la Conférence de Québec en 1864, et les centaines d’autres qui ont ensuite débattu les résolutions de Québec dans leurs parlements coloniaux, ces hommes que nous désignons comme nos Fondateurs, sont une source éloquente d’information sur ce qui constitue les fondations du Canada ainsi qu’une excellente indication de l’opinion publique nord-américaine britannique à ce sujet. La lecture de ces débats ne laisse aucun doute: les Pères fondateurs canadiens étaient bien au fait des arguments des Lumières britanniques, comprenaient l’idéal du contrat social et étaient déterminés à garantir les droits et libertés des citoyens de l’Amérique du Nord britannique de façon permanente.
Ce qui se rapproche le plus de leur conception des « droits » est le terme contemporain de « libertés civiles ». Nos Pères fondateurs ne s’intéressaient pas aux droits positifs modernes; ils étaient déterminés à limiter l’interférence gouvernementale et à protéger les droits et libertés individuels. Quand ces hommes discutaient de droits, ils avaient en tête la protection du citoyen contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires, la liberté d’expression et de conscience, la liberté de religion, les élections libres et, par-dessus tout, la protection contre toute forme d’oppression, même venant d’une autorité démocratiquement élue.
Bien entendu, les Pères fondateurs avaient leurs différences, c’est pourquoi leurs paroles et discours demeureront intéressants et importants. Nos fondateurs avaient lu et se référaient fréquemment à John Locke, William Blackstone, Thomas Hobbes, Edward Coke, Edmund Burke, John Stuart Mill, ainsi qu’à Jean-Louis de Lolme et sa défense du régime parlementaire, The Constitution of England, aujourd’hui malheureusement négligée. Ils avaient étudié la philosophie politique, et nombre d’entre eux étaient familiers avec les Federalist Papers et la Constitution américaine, l’expérience de la Nouvelle-Zélande, ainsi que les arrangements politiques européens et la lutte dramatique entre les Stuart, les puritains radicaux du Commonwealth, et le Parlement qui a culminé avec la « Glorieuse Révolution » de 1688.
Les Pères fondateurs connaissaient leur histoire et en discutaient avec intelligence. Les Canadiens s’exprimaient sur l’Acte constitutionnel de 1791 et l’attribution d’une Assemblée législative élue, les rébellions de 1837-38, les débats entourant l’union législative du Haut et du Bas-Canada, et les conséquences de cette union. George-Étienne Cartier n’était qu’un des nombreux orateurs éloquents à invoquer les vertus des institutions politiques britanniques et la protection qu’elles accordent aux libertés individuelles. Plusieurs de ces orateurs citèrent le Rapport de 1839 de Lord Durham sur le gouvernement responsable, incluant ses écrits sur le pouvoir exécutif, la chambre haute, et le législateur.
Cette histoire a été mystérieusement oubliée ou faussement représentée, surtout durant les années 1970 et 1980. Au nom de la fierté nationale, on nous a fait croire qu’il n’y avait rien dans l’histoire de la fondation du Canada dont nous devions être fiers, car ni le processus ni le résultat de ces débats sur la Confédération n’étaient comparables à ceux qui prirent place au cours des mêmes années aux États-Unis, en Angleterre, et en France. En fait, on nous enseigné une histoire aussi triste qu’inexacte.
Lorsque nous rejetons cette croyance populaire et prenons le temps d’étudier ces débats, nous avons parfaitement raison d’être fiers de nos fondateurs, qui étaient érudits, intelligents, clairs, et de grands orateurs. Nous avons raison d’être fiers de ce qu’ils ont accompli. En vérité, le Canada repose sur des fondations qui sont plus solides et philosophiques, bien plus concernées par les principes de liberté, que de nombreuses croyances académiques et populaires nous laissent croire. Nous avons parfaitement raison d’être fiers de ceux qui nous ont donné le Canada, avec son système politique et son régime parlementaire souverain.